Rose pas rose 2/3

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Proposée le 9/01/2011 par CAVALIER ROUGE

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Rose pas rose suite 2/3, lire le chapitre 1

Six mois de deuil. Rose séduite et abandonné par Gilles, pour éviter une explication sincère, a préféré accepter l'hospitalité de Maurice, le célibataire du foyer d'artisanat, un quasi inconnu. Il a suffi d'une déclaration d'amour étrange, venue à point et elle a quitté le domicile conjugal, oublié les ferventes promesses du mariage, fait un trait sur deux années de complicité. Gilles l'avait détourné de moi, Maurice l'a cueillie sous mon nez.
Seul dans la maison, je crois la voir, l'entendre. Plus de cris de joie, plus d'appels, plus de taquineries, plus de mots d'amour, plus de baisers, plus d'étreintes, plus de je t'aime. Je vis en célibataire inconsolable dans cette maison hantée par le fantôme de mon amour.
Le dossier de divorce de Sylvie a servi à la constitution du mien, puisque j'ai dû me rendre à l'évidence : Rose ne reviendra plus. J'ai dû me résoudre à demander à la justice d'en tirer les conclusions. J'oublie en travaillant. J'entretiens ma propriété, ermite renfermé, je lis, j'écoute mes disques.
Le juge aux affaires familiales a conclu de notre entrevue que nous ne souhaitions pas de conciliation.
Ce samedi d'hiver, il pleut, je repasse mon linge devant la télévision. Un visiteur sonne. Je fais entrer Maurice, seul, plus affligé que moi. Ce matin Rose l'a quitté parce qu'il lui a reproché d'être revenue à 3 heures du matin. Je le console, verse un verre d'alcool et nous trinquons aux femmes fidèles qui nous attendent.
Il vient de me quitter, on sonne. Ils étaient partis ensemble, ils reviennent le même jour. Devant moi, toujours aussi séduisante, fardée avec soin, souriante, heureuse de me revoir, Rose me tend les bras, ferme les yeux et avance bouche offerte. Un bisou sur chaque joue l'étonne, mais elle entre d'un pas décidé, comme si elle revenait d'un lèche-vitrine d'une heure ou deux.
- Alors, il paraît que tu veux vendre la maison ? Où iras-tu ? Imagine que je veuille revenir vivre avec toi, comment ferions-nous pour nous loger ?
- Tu comptes revenir ?
- Si tu veux de moi, avec joie. Tu sais j'ai changé. J'ai quitté Maurice, mes parents m'hébergent. Je n'arrête pas de penser à toi et aux jours heureux de notre mariage.
- Tu vis seule ?
- Comment pourrais-je me lier avec un autre. Je t'ai dans le cœur, je t'ai dans la peau. Je t'aime, je suis folle de toi. Si tu savais comme je regrette le mal que je t'ai fait. Pardonne-moi. Et si tu le permets, je reviens vers toi. Tu es toujours seul ?
Elle est là, devant moi, belle, attirante, disposée à une réconciliation, à défaut de veau gras, je devrais ouvrir une bouteille de champagne pour célébrer la fin de l'insupportable solitude. Elle se déplace à l'aise, reprend avec un naturel époustouflant son rôle de maîtresse de maison, ouvre les portes, commente mes travaux, s'attarde devant notre lit. D'un mot elle peut m'y attirer et nous serions nus, livrés à l'ivresse des sens. Je retrouverais ses seins aux pointes dressées, son sexe ardent et nous ferions l'amour. Des mois d'abstinence seraient soldés en un corps à corps fou en ce qui me concerne. Je vais céder à la tentatrice. Une question, une petite question inspirée par notre passé et par Maurice me sépare de l'union amoureuse:
- Peux-tu me dire où tu as passé la nuit dernière ?
Elle ignore le propos.
- Je ne devrais pas te bousculer, mais tu me manques tellement et depuis si longtemps que je n'ai pas pu résister à l'envie de te faire l'amour, malgré les recommandations de mon avocat.

Ah ! Voilà un brutal retour à la réalité : Les recommandations des avocats. Le mien m'a dit qu'une réconciliation ferait tomber à l'eau toutes les preuves antérieures… D'un mot Rose vient de briser le doux rêve du retour de l'épouse égarée. J'aurais fêté, tout oublié pour la retrouver. Elle voit ma contrariété :
- Si tu vends la maison, ça ne tuera pas mon amour. Je saurai attendre que tu me fasses signe. A ce moment tu me verras accourir. Désormais je n'aurai plus d'autre homme que toi. Je nous fais un café ?
Ce corps souple qui danse à travers les pièces, cette femme que j'ai tant aimée, l'épouse inoubliable, je voudrais la serrer dans mes bras, la dévêtir, me couler en elle, me noyer dans son ventre chaud, la pénétrer et la faire crier de plaisir retrouvé. Mon cœur bat à tout rompre mais ma raison hurle : AVOCAT.
Elle parle travail, salaire, nous serions si heureux. Je crève de désir devant une femme qui s'offre.
- Viens au lit, faisons l'amour, ça n'engage pas l'avenir, mais cela pourrait nous rapprocher !
- Où as-tu passé la nuit dernière.
- Pourquoi cette question ? Vous êtes tous pareils, je crois entendre Maurice. Oh ! Pardon.
- Rose, tu n'as pas changé. Tu ne veux pas répondre, comme naguère. Je regrette ton refus de donner une réponse précise à une question sans importance. Cette attitude m'est insupportable. Je te reconduis chez toi.
Elle a compris ce qui nous sépare.

Je me suis imposé une rude frustration. Refuser une pareille occasion, c'est inhumain. Maudits avocats. Un nouveau coup de sonnette me tire de ma rêverie. C'est le jour des visites. Que m'arrive-t-il ? Une autre revenante. Celle-ci est blonde, mais aussi souriante et aussi agréable à regarder. C'est Sylvie en reine de beauté, de la pointe des cheveux aux bouts des ongles, resplendissante, éblouissante, femme épanouie à l'approche de la trentaine, savoureuse, fruit mûr à cueillir sans tarder, si belle, si désirable. Mais moi, pauvre ver de terre, incapable d'avoir gardé Rose, comment oserais-je jeter les yeux sur cette merveilleuse créature ? Le diable a juré de me damner aujourd'hui.

Elle entre, me donne l'accolade. On se tutoie, mais jamais nos salutations ne m'ont révélé avec une telle précision les formes et la chaleur de ce corps. Elle reste contre moi, affectueuse, souriante. Mon corps curieux répond à la curiosité du sien. C'est une redoutable attaquante. D'entrée elle marque des points en prolongeant ce rapprochement subit. Pendant des semaines nous nous sommes rencontrés de façon neutre pour régler nos témoignages puis nous nous sommes oubliés. Quelques projets de sorties sont restés lettres mortes, nos rencontres se sont espacées. J'en ai conclu qu'elle était trop bien pour moi. Et, tout à coup le reclus se transforme en saint Antoine tenté par de magnifiques créatures.

- Mon cher Paul, il y a bal ce soir à la salle des fêtes. Tu ferais un cavalier de rêve pour moi. Voudrais-tu sortir de ta caverne et me faire ce plaisir ? Nous pourrons nous entretenir de nos problèmes, mais surtout nous amuser. Cesse de me regarder comme si je descendais des nues. Dis-moi Oui.

Demandé aussi gentiment, avec une accolade aussi appuyée, ça ne saurait se refuser. J'accepte en cachant mon enthousiasme. Sylvie se souviendrait-elle de sa lointaine invitation :

- Si tu es seul, fais-moi signe.

Je n'ai pas oublié, mais je n'ai pas osé. Elle est magnifique au point de m'intimider et seules des circonstances étranges nous ont rapprochés. Au bal, Rose et moi adorions danser.

Ce bal a-t-il un caractère particulier ? Faut-il se déguiser ?
- Non, c'est un bal au profit des orphelins en vue des fêtes de fin d'année, organisé par une association. Il y a deux ans, je vous ai vus danser toi et Rose à ce bal.

- Rose ! Sais-tu qu'elle sort d'ici. Peu avant Maurice m'avait annoncé qu'elle venait de le quitter. Que me voulait-il ?
- Peut-être a-t-il pensé qu'elle s'était réfugiée chez toi.
- A peu de choses près il la trouvait ici.
Cherchait-elle Maurice ? Je plaisante, mais c'est curieux, continue, je te dirai après… Et que voulait-elle.
- Ensorcelante, parfaitement à l'aise, elle venait proposer de revenir en bonne épouse, ni plus ni moins et voulait mettre fin à ma longue période d'abstinence.
- Vous allez vous remettre ensemble ?
- La solitude, c'est terrible, sais-tu. J'ai été tenté. Mais dans l'état actuel du procès, j'ai jugé prudent de ne rien décider. Je lui ai demandé où elle avait passé la nuit dernière, elle a pris la mouche, cela a coupé ses déclarations.

- Imagine quelle visite j'ai reçue de mon côté.
- Pas vrai ?
- Si, Gilles, en grande tenue, tout disposé à me revenir, plus amoureux qu'à nos débuts. Pour renouer en beauté, il prévoyait de m'emmener au bal ce soir en compagnie des amis de son club.
- As-tu besoin de plusieurs cavaliers ? Pourquoi es-tu venue m'inviter si Gilles se proposait de partager cette soirée avec toi ?
- Gilles et Rose, est-ce le fait du hasard, ont le même avocat. A l'évidence ils ont reçu la même consigne : Se rapprocher, renouer pour rendre nulles toutes les preuves qui pourraient nous faire gagner le procès.
- J'ai tenu le même raisonnement. Bon Dieu, que cela a été dur.

Sylvie se colle à moi, ses deux bras entourent mon cou, son parfum m'enivre, son regard mouillé se plante dans mes yeux, sa bouche s'empare de mes lèvres. Oui, cela a été dur, pour elle comme pour moi. Et soudain, ce long baiser, très doux, très long c'est une délivrance. La mélancolie, les regrets, sur le champ, sont oubliés. Nous nous regardons étonnés, frappés par la foudre

- Qu'attendais-tu pour venir chez moi ? Je t'avais dit que si tu étais seul, je serais là. Ca fait si longtemps que j'espérais. Je ne te plais pas ?
- Au contraire, tu es si belle. Trop belle pour moi. Je n'ai pas osé croire que tu t'intéresserais à moi. Et puis j'avais un deuil à faire.
- Oh ! Le sot timide. Pendant que je me languissais, il avait peur. Ce n'est pas vrai, pas possible. Trop belle pour lui ! Et quoi encore ? Approche.

Et c'est reparti pour un tour : Pour rien au monde je ne donnerais ma place. Elle m'insuffle cette assurance qui me manquait. Quelle étreinte, quel baiser. La chape de timidité s'évanouit et cette fois je donne autant que je reçois dans cet échange. Toutes les barrières sautent, le salon en est illuminé. Le paradis, ça doit être ça.

- Eh ! Bien, dis donc. Tout ça couvait en toi, tu te cachais. Tu peux avoir confiance en toi, jamais personne ne m'a montré une telle ardeur. J'adore t'embrasser. Encore.

Je suis aussi insatiable que Sylvie. Ce corps pressé contre le mien me fait oublier toute décence. Quand malheureusement il faut se séparer, Sylvie a un sourire entendu. Elle a senti et sait ce qu'elle a éveillé chez le solitaire. Et ce n'est pas pour lui déplaire.
Le dos de sa main effleure ma joue :
- Allez, prépare-toi et viens me rejoindre chez moi dès que tu seras présentable. N'oublie pas de te raser.

Effectivement, j'ai négligé mon apparence depuis que Rose… Rose, le départ de Rose, l'absence de Rose, la possibilité du retour de Rose, Rose ici, Rose là. Le dernier piège de Rose. Mon deuil est terminé.

- Paul, ce bal est notre bal. Je ne veux danser qu'avec toi et je t'interdis de danser avec une autre femme, bien compris. Jure et embrasse-moi sans éclater ma coiffure.

La merveilleuse interdiction. Qu'a-t-elle rajouté : Je ne sais pas, mais quand je la rejoins je la trouve encore plus belle, plus naturellement troublante, à la fois désireuse de plaire et sure de son charme. Elle doit avoir environ deux ans de plus que moi, son autorité naturelle m'en impose, et son regard me fait chavirer. C'est comme si je changeais de catégorie, je passe d'une jeune femme encore insouciante à une femme posée. C'est indéfinissable de se sentir ainsi apprécié et désiré par cette femme sur laquelle je n'aurais osé porter mon regard. Quelle allure, quel port. Et c'est bien moi qu'elle savoure dans ce nouveau baiser. Et c'est bien elle que j'enlace et que j'embrasse. Je ne rêve pas.

- Encore ceci : Gilles dépité de mon refus s'est fâché et m'a lancé sa réservation. Nous aurons donc deux places réservées à la table quatorze. Si je pense devoir quelque chose à mon ex, c'est de m'avoir rappelé l'existence de ce bal : Tout mon bonheur sera d'y danser avec toi !

Nous ne sommes pas les premiers, le bal est déjà lancé. Sylvie décide de trouver nos places, je dois l'attendre à l'entrée. Je regarde la piste. A quelques pas devant moi, un couple oublie le monde qui l'entoure, bouches soudées, bras de la femme jetés autour du cou de son compagnon, ventres plaqués l'un contre l'autre. Ils tournent sur place. Je reconnais en premier la robe; je l'ai vue aujourd'hui. Cette femme collée amoureusement à son cavalier, c'est celle qui m'a juré, il y a quelques heures seulement, que je serais désormais le seul homme de sa vie. Sylvie me secoue, suit mon regard, ouvre de grands yeux et me tire énergiquement vers notre table. Un couple très jeune partage cette table avec nous. Nous nous saluons et les voyons disparaître dans le flot des danseurs. Sylvie ne me laisse pas le temps de penser à ce que je viens de voir. Le remède à la mélancolie elle le connaît.
- Allons danser. Montre-moi que tu n'as pas oublié dans ton antre.
- Elle plonge son regard dans le mien, affirme sa présence, me tient, me guide, me met en appétit, m'impose le rythme. Son sourire, son parfum, sa chaleur, son envie de me plaire et de s'amuser me dégèlent. C'est un réveil lent, progressif. J'oublie Rose, je suis si bien avec Sylvie. De mené, je redeviens meneur pour le plus grand bonheur de ma danseuse. Nous évitons les embrassades passionnées en public, mais nous ne sommes plus deux amis amateurs de danse. Yeux dans les yeux, sans efforts apparents, nous glissons sur le parquet avec le plaisir enivrant d'évoluer avec grâce.

- J'adore danser avec toi.
- Merci, moi aussi. Je suis heureux de m'accorder aussi bien avec toi.

On se sourit; on s'entend de mieux en mieux. A la pause, Sylvie ne craint plus d'aborder le sujet grave:

- Tu as vu Rose : Que penses-tu de ses déclarations de cet après-midi ?
- C'était un piège. Elle agissait sur commande.
- Tu as bien fait d'être prudent. Tu ne le regrettes pas ?
- Tu es là et ça me suffit. Viens retournons en piste, j'ai besoin de te sentir dans mes bras.

Le temps du dépit amoureux est passé, je pénètre dans une nouvelle vie, pleine de promesses. Sylvie est une révélation. Elle me procure une sensation de sécurité inaccoutumée. Elle est solide, aussi sure moralement que physiquement belle. Le rêve devenu réalité. Le confort, le calme mais aussi la vie. Elle n'a pas besoin de faire une déclaration d'amour, ses yeux sont assez expressifs.

- Il y a deux ans, vous aviez participé au concours de danse ?
- Oui, Rose et moi avions échoué au pied du podium.
- Je t'avais remarqué. Gilles et moi avions terminé en deuxième place.
- Le monde est petit. Je t'avais trouvée si belle et si gracieuse : C'était toi !
- Ce soir, serais-tu prêt pour concourir avec moi ?
- N'est-il pas imprudent de trop nous afficher ? Cela risque de nuire à notre procès.
- Ce qui sera jugé s'est passé avant ce soir. Depuis nos époux ont quitté le domicile conjugal. Le juge ne tient pas compte des faits postérieurs. Sois tranquille, nous pouvons danser ensemble.
- Dans ce cas j'aurai grand plaisir à concourir avec toi. Serai-je à la hauteur ?
- Viens donc au lieu de gamberger. Entraînons-nous. Je vais te montrer quelques astuces, je crois que nous pouvons être parmi les meilleurs. Ce sera amusant.
- Prenons du plaisir et peu importe le résultat.

Un parfum connu approche de notre table, une voix ravissante murmure à mon oreille. Sylvie a vu avant moi l'arrivée de Rose et guette ma réaction.

- Chéri, m'accorderas-tu une danse ce soir ? Tu sais, il va y avoir un concours. Nous pourrions le gagner si tu dansais avec moi. Tu te souviens, il y a deux ans.
- Bonsoir Rose. Il y a deux ans nous étions amoureux, te souviens-tu ? Je regrette, mais Sylvie et moi sommes déjà engagés ensemble. Il y a longtemps que tu es là ?
- Non, j'arrive et depuis l'entrée je t'ai vu danser, bonne chance. La prochaine fois je t'inviterai plus tôt.
- Tu vas concourir ?
- Il faut que je me trouve un cavalier
- Va vite, le garçon que tu embrassais quand nous sommes arrivés semble s'impatienter.

Cette fois le mensonge m'a rendu cruel. Elle a compris et s'en va.
- Cette fille ne peut pas s'empêcher de mentir.
- C'est-ce qui a tout gâché.

Elle a retrouvé son cavalier. Celui-ci nous rejoint :
- Est-il vrai que vous soyez le mari de Rose et que vous vous moquiez qu'elle m'embrasse ? Ca vous laisse vraiment indifférent ?
Que cherche-t-il ?
- Vous le constaterez par vous-même, c'est une question d'habitude.


Sylvie vient à mon secours :
Chéri, dansons, qu'ils soient heureux.
L'autre n'y comprend plus rien. Moi aussi j'ai entendu « chéri ».

Quand on a le bonheur de glisser avec légèreté en compagnie d'une beauté aussi douée que Sylvie, au fur et à mesure des éliminations des candidats moins prisés du jury, on finit par attirer les regards. Les commentaires vont bon train. A plusieurs reprises des doigts désignent Rose et son compagnon ou notre couple. Gilles et Sylvie étaient très connus.

- Ne les écoute pas, Paul, ne te raidis pas, reste souple. Oui, c'est bien comme ça. Regarde mes yeux.

Nous évoluons, Sylvie semble ravie, je suis sur un nuage. Il faut en descendre pour recevoir le bouquet des vainqueurs, les applaudissements de circonstances et deux gros bisous sur les joues d'une cavalière dont la voix douce me glisse :
- Toi, tu ne perds rien pour attendre.
Au premier rang, Rose applaudit. Les amis et connaissances de Sylvie la félicitent et l'embrassent. Modeste et souriante, elle tient fermement ma main et m'associe à ce succès. Le photographe du journal local prend une magnifique photo au moment où nous nous regardons comblés de bonheur. J'ai entendu çà et là que c'est la beauté de la jeune femme qui a été primée. Je suis fier d'être son servant.

A peine assis pour lever une coupe à notre succès, nous assistons à une bousculade. C'est à qui fera danser Sylvie.

- Paul, je te présente Roger, prof de math dans le lycée où j'enseigne l'allemand.

- Bonsoir Sylvie. Quel plaisir de te revoir. Tu as enfin décidé de sortir. C'était navrant. Mais où est Gilles, il nous avait annoncé votre réconciliation ? Vous deviez la fêter ici ce soir. Est-il malade ?

- Bonsoir Juliette. Paul, voici l'épouse de Roger. Il y a erreur, nous ne nous sommes pas remis ensemble. Permettez-moi de vous présenter mon fiancé Paul.

Juliette, Roger et quelques membres du cercle autour de notre table tombent des nues, hypocritement, ils nous ont vu danser, savent à quoi s'en tenir. Le plus étonné c'est moi. Je souris béatement à l'annonce de ma promotion inattendue au rang de fiancé. Sylvie enchaîne :

- Ce soir nous célébrons nos fiançailles, vous voudrez me pardonner de ne pas danser avec vous, ma nuit est réservée à Paul, mon amour.
Incrédules ils scandent :

- Un bisou, un bisou, un bisou

Sylvie se lève, se tourne vers moi, me tend les bras. Il n'y a pas à hésiter. Je me dresse et sous les applaudissements, en public, nous échangeons un baiser d'amoureux, le premier, un vrai, plein de la passion qui jusque là s'imposait de la retenue. Jamais je n'aurais osé le demander ou le voler. Fiancé réel ou fictif, je reçois sous les yeux des amis et du public ce baiser réel de Sylvie. Elle ne fait pas semblant, les plus suspicieux cette fois seront convaincus. Et pour me convaincre, lorsque nos lèvres se séparent, Sylvie me gratifie d'un large sourire satisfait.

Le bal terminé, il faut rentrer.

- Heureux ? Tu ne m'en veux pas d'avoir annoncé nos fiançailles ? Je t'ai surpris, mais c'était l'unique moyen de nous défaire de cette troupe parfois collante. Pardonne la surprise. Elle n'était pas préméditée.

- Merci de m'avoir invité. Tu m'as fait vivre une soirée magnifique. J'ai dû faire beaucoup de jaloux : Mais, cette annonce n'était donc qu'un stratagème ? Alors excuse-moi de t'avoir si amoureusement embrassée. Un moment je me suis pris à ton jeu, j'y ai cru.

- Mais si tu le souhaites, tu peux y croire. Pour se fiancer, il faut être deux. Je ne t'avais pas demandé ton avis, maintenant dis-moi, accepterais-tu de t'engager avec moi. Je le souhaite et toi ?

- Est-ce bien sûr ? Ne te crois pas obligée par ta déclaration.

- Veux-tu entrer, j'ai préparé un repas froid, nous le partagerons. Et nous pourrons discuter tranquillement.

Nous sommes dans l'entrée, porte fermée. Sylvie me tient par la main pour me faire gravir l'escalier. Sur le palier elle se tourne vers moi, me fixe :

- Paul voudras-tu de moi pour épouse ?
- Si tu veux de moi, j'accepte avec joie de t'épouser.

Aussitôt Sylvie laisse éclater sa joie, m'étreint et m'offre sa bouche pour notre second baiser. Sans témoin indiscret, cette fois. On peut imaginer la fougue qui nous pousse l'un vers l'autre, les élans amoureux de deux cœurs assoiffés de compréhension et d'affection, de deux âmes avides d'espérance et les exigences sexuelles de deux jeunes corps laissés en friche pendant de longs mois, au moment où deux êtres se rencontrent, reconnaissent qu'ils sont faits l'un pour l'autre et décident de s'unir.
Nous oublions le repas froid. Nous nous embrassons, nos bouches ne veulent plus se quitter.

- Mon amour, cette nuit, reste avec moi. Je suis trop heureuse pour rester seule.

J'accepte. Nous quittons manteaux, pulls; nous nous regardons quelques secondes et nous reprenons le déshabillage, chacun offre à l'autre le spectacle d'un striptease rapide puis hésitant quand il faut pour la première fois se montrer nu devant l'être cher. C'est étrange de retrouver cette pudeur qui retarde la découverte du corps désiré. Avec émotion je me remplis de l'image nouvelle de ce corps de femme en pleine santé : Tout est neuf, les seins légers, le bombé à peine dessiné du ventre, la saillie des hanches, les fuseaux des cuisses. De son côté Sylvie, un instant en arrêt, se penche pour me retirer le dernier morceau de tissu et pour dévoiler ma virilité en évolution. A mon tour je baisse son dernier rempart et découvre sous le triangle de soie la blondeur de la toison et le fin ronflement des lèvres.
Par pudeur nous nous rapprochons, nos peaux frémissent au contact. Déjà nous nous retrouvons à deux sous la douche, à nous savonner mutuellement, à explorer chaque partie de nos corps. Toute gêne écartée, par attouchements de plus en plus précis nous faisons connaissance. Les serviettes moelleuses
procèdent à un rapide séchage, entrecoupé de baisers et d'étreintes. Le service réciproque est agrémenté de chatouillis orientés et tout naturellement je me retrouve au lit à côté de la superbe femme qui m'accueille.
Nous bouillons de désir en cette minute exceptionnelle.

- Je t'aime et je t'aimerai toujours. Fais de moi ta femme pour la vie
- Je t'aime et je t'aimerai toujours. Accepte-moi comme époux pour la vie.
- Prends-moi, je me donne à toi.

Elle s'est couchée sur le dos, a ouvert ses bras et relevé ses genoux. C'est une vraie blonde. Je m'allonge sur elle, me mets en place, elle glisse entre nos corps une main qui me guide. Mon membre gorgé de sang pénètre le vagin humide, nos yeux se fouillent curieux de déchiffrer la montée du plaisir. Cette pénétration des chairs est en harmonie avec le mélange des sentiments enfin avoués. Que de chemin parcouru en si peu de temps.

Longtemps je m'étais demandé si l'addition de deux malheurs pouvait produire un bonheur, si l'alliance de vaincus pouvait conduire à une victoire ou si la réunion de deux cocus pouvait construire un couple heureux. L'échec appelle l'échec; chacune de mes conquêtes féminines est condamnée à devenir une Rose pleine d'épines entre mes doigts. Je me voyais mal, pour atteindre un tel résultat, déployer une somme d'efforts, de délicatesse, de précautions amoureuses pour toucher un cœur. Redécouvrir un cœur, un corps, mettre son âme à nu, parcourir le long chemin de l'amour, rempli d'obstacles, déjà défriché avec ardeur une première fois avec toute la fougue de la jeunesse curieuse et inexpérimentée, devenait impensable si le résultat était incertain, trop certainement voué à la déconfiture d'un nouveau divorce.
Aussi m'étais-je condamné à une vie monacale. Me présenter devant Sylvie, lui rappeler des propos arrachés par la colère ce jour maudit où nous avions confondus nos époux adultères : A quoi bon' A quoi bon nous rencontrer pour jouer aux anciens combattants de l'amour. Je n'avais pas su garder ma délicate Rose, comment envisager conserver cette fleur éclatante. Rose m'avait plaqué à cause de défauts que Sylvie remarquerait à son tour. La sublime Sylvie, délaissée par son mari, devait avoir les siens; ce visage magnifique dissimulait-il une redoutable mégère ? Derrière le masque avenant pouvait se cacher une prude frigide ou une nymphomane incontrôlable.
Fort probablement tenait-elle les mêmes raisonnements sur mon compte, si toutefois je ne lui étais pas complètement indifférent. J'avais été un pion pour son dossier de divorce, point barre.

Et ce matin, je me réveille à côté de la belle endormie. Tout a été si simple, si naturel, si normal, si rapide. Questionnements, hésitations, craintes et tremblements se sont dissipés. La vie a pris le dessus. Sous le drap léger je suis allongé contre une créature de rêve qui dort apaisée et confiante, le visage fascinant effleuré par les timides raies d'un soleil hivernal. Le miracle existe puisque j'en vis un. Elle ouvre les yeux et paraît ravie de me voir. Nous restons immobiles, incrédules, souriant béatement avant de vérifier du bout des doigts que nous sommes bien réels. Plus le toucher nous rassure, plus nos yeux brillent. Plus sa présence s'impose, plus elle découvre la réalité de la mienne et plus son regard me dit son bonheur.

« O temps suspends ton vol et vous, heures propices, suspendez votre cours.
Laissez nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours. »( Lamartine)

- Où vas-tu ? Tu m'abandonnes déjà ?
- Je vais acheter des croissants.
- Tu es délicieux, mais j'ai tout ce qu'il faut à la maison. Une brioche tournée de mes mains, ça te tente ?
- Si c'est pour apprécier tes talents, d'accord
- Fais-moi d'abord un gros câlin.

C'est un plaisir de promener ma bouche sur les yeux, dans le cou, derrière les oreilles pour l'amener à frissonner et à m'enlacer. Mes mains caressent les flancs, le ventre, englobent les seins, chatouillent les pointes, flattent les cuisses, raffermissent les grandes lèvres. Un doigt y joue au curieux et Sylvie se jette sur moi, m'enfourche, s'empale et relance une union douce qu'elle va mener jusqu'au jaillissement qui frappera à la porte de l'utérus. Nous ne courons pas après un exploit sportif, nous nous aimons.
Nous restons longuement enlacés, nous flânons sur la couche, inséparables. C'est si bon.
La brioche tardive repousse le repas de midi à quatorze heures : Le fameux repas froid est enfin absorbé. Vers 16 heures il faut se séparer. Sylvie, enseignante au lycée doit préparer un cours d'allemand pour le lundi. Nous avons discuté activités, loisirs, fait des projets pour passer du temps ensemble. Sylvie a un abonnement à la Comédie et m'introduira dans ce milieu. Avec moi elle reprendra le tennis. Et bien entendu nous irons danser. La proximité de nos demeures facilitera nos retrouvailles. Elle me remet une clé de la porte de sa cave. Je pourrai la rejoindre à volonté. Nous pourrions nous établir chez l'un ou chez l'autre. Le choix dépendra des décisions du tribunal.
Le dernier baiser du dimanche est empreint de mélancolie. De tout temps j'ai connu un serrement du cœur le dimanche soir.

Dans mon fauteuil, au son du concerto n° 5 de Beethoven, je plane, au vent léger flottent les ondulations d'une chevelure blonde, se dessine le visage de l'amour. Enfin éclate dans l'allegro final la vision reconstituée de nos ébats, la vivacité, les élans, la succession de temps forts et de pauses si vite oubliées pour des reprises calmes ou saccadées, avec des accents de victoire annoncée, attendue, déferlante, des temps de certitude, des lenteurs qui s'étirent. La reprise de l'allegro, triomphale affirmation de l'accomplissement souhaité correspond à l'enthousiasme de l'orgasme avec son mélange de gammes aiguës ou graves.
La musique du concerto n° 3 est en parfaite harmonie avec mes sentiments présents. Je suis les mille détours de la mélodie et je pense à Sylvie, nous dansons, rien de précis en dehors de l'impression de bien-être qui me reste des instants de bonheur vécus avec elle... Je suis amoureux.

Merci à celui qui sonne d'avoir attendu la fin du cd. L'acheteur de mon pavillon, désolé, vient m'annoncer que, faute de prêt relais, il doit renoncer. Jour heureux, jour béni des dieux, il n'achète plus. Je reste dans ma maison, là, à proximité de mon amour. Musique ! Ma voix accompagne l'orchestre; de joie, je chante à tue-tête.
Qui sonne à cette heure avec tant d'insistance ? Je rêvais d'elle, Sylvie est à ma porte !

- Mais que t'arrive-t-il' Il te faudrait des triples vitrages. A l'extérieur on entend la musique mais surtout ta voix. Quel concert !
- Entre vite, tu es glacée.
- Voilà cinq minutes que j'écoutais. Quel entrain. D'où te vient cette joie ?
- Devine.

Je l'enlace, point n'est besoin de discours pour lui faire découvrir l'origine de mon bonheur. Je baisse le son. Debout l'un contre l'autre, immobiles nous goûtons les dernières minutes de l'allegro. C'est si beau quand on partage. J'écarte d'un doigt la mèche folle qui cache son œil droit.
- Quelle bonne surprise. Tu as fini tes préparations ?
- J'ai bien revu mes fiches, placé mes marques. Comme toi, je me suis sentie euphorique et j'ai avancé plus vite que prévu. J'ai eu le temps de préparer un souper pour nous deux. Et toi qu'as-tu fait ?
-Rien. J'ai écouté de la musique en pensant à toi, si fort que te voilà : C'est magique !
- As-tu réfléchi à ma proposition de loger chez moi quand tu auras vendu ?
- Je refuse.
- Ah ! Bon, tu refuses. Je suis trop envahissante : Tu tiens à ton indépendance. Tu sais, j'ai une chambre d'amis fort confortable au rez-de-chaussée et si ça peut te dépanner quelques semaines, je me ferai discrète.
Elle semble déçue. Je m'empresse de chasser ses doute:
- Tu ne me veux plus dans ton lit ?… Je fais donc bien de ne plus vendre.
Que me chantes-tu ? Tu as signé le compromis de vente.
- Je veux rester près de toi, je ne veux plus vendre
- Hélas, c'est fait. J'aurais tellement aimé que tu restes ici, si près de moi. Mon chéri, viens…

Elle soupire. Son regard s'embue, sa phrase ne trouve pas sa fin. Je glisse ma bouche vers son oreille, le nez chatouillé par une mèche souple, je dépose un baiser derrière le lobe délicatement parfumé. Sylvie frissonne, rit, se reprend :

- C'est si bon. Ah ! Si cela pouvait durer. Te voir tous les jours, t'embrasser, te toucher, t'écouter, t'aimer à chaque instant.
- Ma maison te conviendrait-elle ? L'acheteur vient de se désister. Elle est à nous si tu le veux. Les souvenirs m'étouffaient. J'ai parfois imaginé une vie avec toi. Tu me semblais si belle, si inaccessible que j'ai voulu m'en aller. Mais tout est différent depuis cette nuit : Je ne vends plus !
Si tu le veux, tu embelliras à ton idée.

- Vraiment. C'est magnifique, mon amour. Déballons mon panier. Je peux utiliser ta cuisine pour disposer le repas ?
- Tu es chez toi. Je te donne un coup de main.
- Hum ! Tu es un célibataire méticuleux. Pas de vaisselle qui traîne, pas de miettes par terre: tu as une femme de ménage ?
- Il suffit de faire un peu attention. Je ne salis pas beaucoup.
- Et ton linge ? Ton repassage ?
- J'ai pris de bonnes habitudes, je me débrouille. Le lave-linge, le sèche-linge, le lave-vaisselle, l'aspirateur, le balai et la pelle n'ont pas de secret pour moi.
- Je t'embauche !
- Juste pour le ménage ?
- Cette nuit je verrai si tu as d'autres dispositions appréciables.

Elle éclate de rire et me donne un avant-goût de ce que sera l'examen nocturne.
- Il ne faudra pas oublier de régler la sonnerie du réveil pour demain matin : Je devrai retourner chez moi pour me préparer.

Ce matin, j'ai été déclaré admis à mon examen. C'est étrange ce mélange de passion et d'attention aux désirs de l'autre, cette combinaison de tendresse et de respect, cette alternance d'élans et de retenue, cette succession d'observation et de total abandon, la suite de plaisanteries et de propos graves, cette opposition d'oubli du passé et de projection vers l'avenir. Sylvie est une fée, à son contact j'ai la sensation de renaître en homme nouveau. Mais c'est une fée de chair, brûlante et enivrante. Ce corps merveilleux jouit et dispense la jouissance. Sa maturité me rassure et sa joie de vivre redonne des couleurs à une vie qui se languissait, manquait de sel et ne trouvait plus son sens. Quel beau rêve vécu.

Avec ce bouquet vous serez bienvenu, m'a garanti la fleuriste en ce lundi soir. Après dix-huit heures, je me dirige bouquet en main, clé en poche, vers la cave de Sylvie. La journée a permis de laisser décanter le trop plein d'émotions. Qu'en restera-t-il ?
La porte est ouverte, une clé semblable à la mienne a été imprudemment oubliée sur la serrure, à l'extérieur. Je la subtilise, pour faire une farce. Je traverse la buanderie, ouvre la porte qui donne sur l'entrée principale, vaste et joliment décorée. Des voix viennent d'une porte entr'ouverte sur la gauche. Je reconnais celle de Sylvie en conversation assez vive avec un homme.
Mon bouquet déposé sur le guéridon de l'entrée, sur la pointe des pieds je m'approche de la pièce où le dialogue continue.

- Pourquoi ne veux-tu pas admettre que j'aime Paul ?
- Je veux juste te mettre en garde contre un excès de précipitation. Tu sors d'un mariage malheureux; ne fonce pas tête baissée dans un nouveau mariage. Tu es libre : Profite de tes plus belles années, mais ne t'enferme pas dans une nouvelle prison.
- Tu en as de bonnes. Tu es marié, Juliette et toi avez quatre enfants, ne serais-tu pas heureux ?
- Notre couple est très différent des couples traditionnels. Si Juliette couche avec un autre homme ou si je fais l'amour avec une autre femme, ce n'est pas une catastrophe : Cela ne nous conduit pas au divorce, nous sommes tolérants.
- Votre conception du mariage n'est pas la mienne. J'aime Paul, je crois qu'il m'aime et cela me satisfait.
- A ta place, je réfléchirais. Mets-toi à l'épreuve : Tu prends un amant pendant un temps, tu en essaie un autre. Tu plais, tu peux ramasser les soupirants à la pelle. Vis, que diable, ouvre les yeux sur le monde tel qu'il évolue. Profite des plaisirs de l'existence. Tu as bien le temps de te passer la corde au cou.
- Eh ! Bien moi, j'envisage le bonheur différemment. J'ai trouvé un garçon sincère, bien fait de sa personne, comme moi attaché à la fidélité. Pourquoi irais-je de l'un à l'autre. Tu n'es d'ailleurs pas convaincu de la tolérance de ton épouse.
- L'un de nos quatre enfants n'est pas le mien. Juliette a eu une liaison avec un de mes amis. Elle m'a tout raconté. J'aime cet enfant comme les trois autres. N'est-ce pas une preuve de tolérance. Je pourrais t'en donner d'autres.
- Tu connais le père ?
- Oui, et c'est toujours un bon ami. Et si lui et Juliette venaient à coucher encore, ça ne me fâcherait pas. Si Juliette y trouve du bonheur, au nom de quoi pourrais-je être offusqué ? J'ai moi-même eu quelques expériences depuis notre mariage, parfois avec les meilleures amies de ma femme. Nous nous retrouvons toujours.
- Tu m'étonnes.
- Plutôt que de te lier les mains, fais des expériences, laisse-toi l'occasion de goûter d'autres fruits pour te faire connaître d'autres pratiques. Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'opinion. Tu es loin d'être une imbécile, laisse-toi la chance de profiter de toutes les possibilités qui sont en toi.
- J'ai compris ton discours. Je n'y adhère pas. Vis ta vie et accorde-moi le droit d'organiser la mienne à ma guise.
- Tu crains de ramasser des râteaux ? Je te fais une proposition. Depuis des années je considère que de toutes les femmes de mon entourage tu es la plus belle, la plus intelligente et la plus désirable. Depuis des années, je rêve d'être ton amant. Alors, ne perdons plus de temps, aimons-nous.
- Et Juliette ? Tu espère m'utiliser avant de passer à la suivante ou de retourner à ta femme. Je serais une sorte d'intérimaire, à la merci de tes humeurs.
- Juliette ? Détrompe-toi. Elle n'attend que ça. Vous pourriez très bien vous entendre. C'est encore une belle expérience à tenter. As-tu déjà fait l'amour avec une fille ? Non ? Il serait l'heure d'essayer et Juliette t'initierait à la volupté saphique. Sors, vis et tu oublieras vite ton petit chef de bureau.
- Tu es incorrigible. A la longue tes divagations me fatiguent. Bon, je te remercie d'avoir changé ma roue.
- Sylvie, tu ne me prends pas au sérieux. Viens ici près de moi et embrassons-nous. Tu sauras si je fais naître en toi des frissons et du désir. Comment veux-tu savoir si tu t'abstiens ?
- Cesse de rêver, mon cher Roger. Tu perds ton temps. Allez, merci et à demain au lycée.
- Ne sois pas si cruelle avec un vieil ami. Approche, ne me désespère pas, j'ai envie de toi. Même si tu te lies avec ton Paul, tu pourrais me réserver quelques rendez-vous de cinq à sept.
- Lâche ma main. Non, je ne veux pas t'embrasser. Ne tue pas notre amitié.

Je sais, par indiscrétion, que j'aurai de la concurrence. Le tentateur a dévoilé ses intentions. Je ne vais pas le laisser jouer plus longtemps avec des allumettes. Je retourne à la buanderie et appelle à haute voix
- Sylvie, es-tu là. Houhou, mon amour, où es-tu ?
Chacun par notre porte nous pénétrons dans l'entrée. Moi bouquet tendu, elle souriante mais contrariée remet en place une mèche défaite et tire la porte derrière elle.

- Ah ! C'est toi Paul. J'étais en train de faire du rangement dans la chambre d'amis.
- La chambre où tu voulais me loger. Je peux voir ?
- Demain, je n'ai pas fini. Il faut que je mette encore de l'ordre pour te la montrer. Oh! Les belles fleurs. Merci. Embrasse-moi.
Son baiser est rapide. Elle n'est pas à l'aise.
- Je t'apportais la clé de ma maison, mais je crois que je vais te rendre la tienne, puisque tu les distribues. En voici deux.
- Mais, Paul, qu'est-ce que tu me racontes ? Embrasse-moi encore.
- Merci, ne me joue pas la comédie, ça me rappelle Rose.
Elle voit les larmes dans mes yeux, mesure le sérieux de la situation.
-Q uoi tu ne m'aimes plus ? Quelle comédie ? Viens dans cette chambre d'amis. Tirons les choses au clair.

Elle prend des risques, il va falloir m'expliquer la présence de Roger. Je chuchote :

- Ca fait environ un quart d'heure que je suis dans cette entrée.
- Ah ?
- J'ai entendu votre conversation. Je n'ai besoin ni d'explications ni de mensonges à propos de rangement
- Ce n'est pas bien d'écouter aux portes ! Mais tant mieux : Tu sais à quoi t'en tenir si tu as tout entendu. Donc, tu n'es pas en colère. Tu ne m'embrasses pas ?

J'avance bras tendus. Derrière Sylvie la porte s'ouvre. Pantalon sur les chevilles, précédé d'une imposante érection Roger se montre; l'air triomphant de l'amant vainqueur et déclame :
- Alors chérie, c'est pour aujourd'hui?
Je réponds clairement
- Bonsoir, Roger
Sylvie me regarde, nous pouffons de rire. Roger se dégonfle, sa chose retombe, il nous imite.

- Bonsoir Paul. Félicitations, s'étrangle-t-il.

Il se rajuste, reprend un air digne :

- Ce que femme veut… Vous permettez que j'embrasse la mariée

- Faites, mon ami, faites : Sur les joues !

Il va vite en besogne, je ne veux pas le contrarier en précisant que le mariage est consommé même s'il n'est pas officiellement annoncé.

Sylvie lui ouvre la grande porte, je ne le retiens pas, nous ne sympathiserons jamais, c'est évident. Il s'en va.

- Tu es pensif, je t'ai déçu. J'avoue que j'étais ennuyée et que j'ai été maladroite. Ca ne se reproduira plus
- Tu as si bien défendu notre amour.
- Tu dors avec moi, ce soir ?
- A tes ordres mon amour.
- Alors, je veux un acompte… Montons notre lit nous attend. Porte le bouquet s'il te plaît. Il est magnifique. Tu as un souci ?
- Résisterons-nous aux attaques de certains de tes amis ? Roger a tenté le tout pour le tout afin de te détourner de moi et du mariage.
- Ne t'inquiète pas. C'est une grande gueule. Il coucherait volontiers avec moi. Tu suffiras largement à mes exigences. Bon, mangeons et nous discuterons ensuite.

- Quand le divorce sera prononcé, que ferons-nous ?
- J'aimerais officialiser notre union par un mariage.
- Nous avons cela en commun. Souhaites-tu avoir un ou des enfants ? Pourquoi Rose voulait-elle un enfant de Gilles ?
- A vrai dire, je me pose encore la question. Sans doute voulait-elle créer un lien très fort pour l'épouser parce qu'elle croyait l'aimer. Rassure-toi, je ne suis ni impuissant ni stérile. Elle voulait s'amuser avant d'avoir à pouponner. Elle disait « s'encombrer de marmots ». J'ai respecté son souhait. Je ne le regrette plus, vu ce qui est arrivé.
- Gilles tenait le même raisonnement, il voulait « profiter de la vie ». Mais toi, tu voudrais un enfant de moi ?
- A condition que tu le désires aussi.
- O, mon amour. comme je suis heureuse. Fini le stérilet. J'ai supplié Gilles pendant des années. Et toi tu en veux. Combien ?
- Nous commencerons par le premier ! J'avais peur que tu n'en veuilles pas ou que tu ne puisses pas.
- Tu ne m'aurais plus aimée ?
- Il est impossible de ne pas t'aimer. Cependant une chose m'étonne : Tu es une femme forte, décidée, impressionnant même; tu es apparue chez moi, tu as demandé et obtenu de moi tout ce que tu voulais. En 48 heures, tu m'as apprivoisé, me voici à tes pieds, heureux comme je n'osais plus l'imaginer.
- Si tu pouvais savoir combien je suis heureuse. Qu'est-ce qui t'étonne ?
- Que tu n'aies pas réussi à obtenir de ton mari ce que tu désirais : Un enfant.

- Prends-moi sur tes genoux. Tu vas comprendre. J'avais dix-neuf ans quand Gilles m'a courtisée. J'étais jeune, fraîche, bien soignée, étudiante. Gilles avait la trentaine, portait beau et a eu facile de me séduire. Il trouvait flatteur de se montrer à côté de moi. Il m'exhibait, m'appelait sa poupée Barbie. Depuis j'ai compris quel rôle il me faisait jouer. J'étais une enseigne; il avait eu la plus belle, donc nulle autre ne pourrait lui résister. Je riais naïvement de cette plaisanterie, j'aurais mieux fait de la prendre au sérieux.
- Il t'a épousée, il devait donc t'aimer.
- Il aimait surtout mon image. Selon lui j'étais la plus belle, je devais le rester. A tout moment je devais lui faire honneur. Au bal, dans la rue, à la maison, dans ses réunions, au théâtre : Toujours tirée à quatre épingles et avec ce chignon de danseuse rafraîchi mais toujours identique.
- Reconnais qu'il te va à ravir. Il te donne un air distingué.
- Donc rien ne devait altérer ou casser l'image : Surtout pas une grossesse ! Comme j'étais amoureuse, j'ai stupidement été soumise.
- Et donc vous n'avez pas eu d'enfant.
- J'attirais tous les crétins qui ne voient que l'aspect extérieur, un visage soigné, une coiffure, une silhouette, un déhanchement, des fesses ou des seins; mais cela éloignait les braves garçons comme toi qui me trouvaient « trop belle pour eux ». Ce n'est pas juste.
- Vas-tu te vêtir de sac et de cendres à l'avenir ? Barbie deviendra Carabosse ?
- Et toi, Guignol, deviendras-tu tyrannique à ton tour ? Si ma coiffure change, si mon ventre s'arrondit, m'aimeras-tu ou fuiras-tu ?
- Merci d'être belle. Un changement de forme n'enlève pas la beauté. A mes yeux tu seras toujours belle, car j'ai découvert une personne extraordinaire, qui de plus partage mes valeurs. Je suis le plus chanceux des braves garçons.
- Et si je suis enceinte ?
- Qu'y a-t-il de plus beau qu'une femme qui porte une vie ? Tu seras la plus belle des futures mamans.
- Oh ! Comme je t'aime.

Cette nuit encore ma maison est restée vide. Nous avons dénoué la situation. La proximité de nos aspirations nous a paru évidente. Nous avons dépassé les limites de l'amour physique, nous pouvons jeter les bases d'une vie à deux.

A la fin du printemps nous avons gagné nos procès en divorce. Sylvie s'est établie chez moi. Elle vendra sa maison. Nous embellirons la nôtre. Pendant ses loisirs elle va transformer la décoration de notre nid d'amour: elle a carte blanche. Notre projet a reçu la bénédiction de nos parents. Nos amis ont applaudi. Le notaire doit nous conseiller pour la conclusion d'un contrat de mariage.

Sans tarder, nous organisons nos loisirs. J'ai insisté pour qu'elle danse avec d'autres; elle a accepté à condition de ne jamais accorder plus d'une série de danse au même cavalier et de m'appliquer la même règle. Heureusement, car l'éclat de ma compagne rejaillit sur moi de façon surprenante. Je comprends à quelles tentations Gilles s'était exposé. Au théâtre nous avons rencontré des couples de collègues de Sylvie, certains maris m'ont regardé avec envie.

Le jeudi soir, nous avons repris le tennis. Après une période d'observation en qualité d'invitée, Sylvie vient d'adhérer au club. Sans esprit de compétition, nous voulons jouer pour le plaisir, nous dépenser sainement, sans excès, ensemble.
Nous sommes de chaque côté du filet pendant une pause.

- Zut, regarde qui arrive. On aurait pu se passer d'eux.

Un couple se dirige vers le vestiaire. Ce sont des membres du club. Je les ai aperçus souvent. Lui est un grand gaillard pataud que sa jeune femme protège d'un embonpoint naissant en le promenant d'un coin à l'autre du court. On peut se demander où cette tanagra remarquable par sa grâce et sa finesse puise l'énergie qui essouffle son partenaire.
- Si elle lui fait ça au lit, il ne fera pas de vieux os, remarquait un soir un ami qui les observait.
Cette femme est un petit dragon qui crache le feu quand son « gros lourd » ne renvoie pas la balle. Souvent l'activité sportive s'arrête sur les autres courts, les joueurs amusés rient des scènes gratuites de ces deux acteurs.

- Tu les connais ?
- Que trop, hélas. Henri a fait toute sa scolarité primaire dans ma classe. Entre mes seize et dix-neuf ans il ne quittait pas mon sillage. Comme par hasard, je le rencontrais à chaque coin de rue. Amoureux transi et collant, il réapparaissait après chaque rebuffade. Heureusement, croyant me le chiper, Véro lui a mis le grappin dessus et m'en a délivré. Méfie-toi, la rumeur lui attribue de nombreux amants.
- Tu colportes la rumeur, c'est nouveau. Que t'a fait cette Véro ?
- Trop souvent je l'ai vue tourner autour de Gilles. Et cet idiot n'a pas résisté à la tentation, avant notre mariage. Un soir de bal, je dansais avec Roger quand il a attiré mon attention sur la sortie de Gilles. Nous l'avons suivi à l'extérieur de la salle. Il s'éloignait à pas rapides vers un coin sombre en compagnie de Véro. Discrètement, en marchant à l'abri des voitures nous avons progressé dans leur direction. Véro l'a embrassé, a fait un rapide demi-tour, s'est appuyée des deux mains contre un des platanes de la place, a reculé ses jambes écartées. Gilles a saisi le bas de sa robe, l'a retournée sur son dos. Le cul nu de la cochonne est apparu une seconde et mon fiancé l'a pénétrée par derrière. Il l'a secouée, elle l'encourageait en simulant l'orgasme, avec des petits cris et des paroles crues. Pendant ce temps, mon ami Roger a essayé de me peloter avec l'espoir de voir mon dépit se transformer en envie de revanche. J'ai senti sa main se glisser entre mes cuisses et venir enfermer mon sexe. J'ai eu un sursaut de rage et j'ai crié tout fort :
- Gilles, arrête.
Les amants se sont détachés, Roger a retiré sa main fureteuse. Gilles et moi nous sommes fâchés, puis raccommodés. J'ai été assez bête pour croire ses serments d'amour. J'ai pardonné, je n'aurais pas dû.. Véro toute fière de son coup a joué à la copine dépassée par l'ardeur de mon fiancé. Tu vois, je la déteste. Tiens admire, elle se croit à Roland Garros.

Véro précède à petites foulées sautillantes son mari nonchalant. Elle aperçoit Sylvie, décrit un crochet et s'avance vers nous.

- Salut, Sylvie. Tu reviens jouer ? C'est bien, on pourra se mesurer. Où est Gilles ? Tu as un nouveau coach ? Tu recrutes à la maternelle ? Oh ! Pardon, monsieur, entre bonnes copines on aime s'envoyer des vannes. Je me présente, Véronique, et vous ? Un ami de cette chère Sylvie, je suppose.

C'est un vrai moulin à paroles. Enfin Sylvie réussit à placer une réplique

- Je te présente Paul, mon fiancé. Celui-là, pas touche.

Henri débarque.

- Ah ! Sylvie ma toute belle, te revoilà. Véro m'a dit que tu avais divorcé. Qui a une touche ? Tu nous as manqué.
- Surtout à toi, Henri. Tu étais si content d'avoir une partenaire à ton niveau.

Les gentillesses volent bas. Sylvie va exploser. Je la calme d'un baiser à pleine bouche pour leur enlever le doute sur la nature de notre relation. C'est une de nos rares démonstrations d'amour publiques. Sylvie répond avec force, insiste.
- Nous vous laissons aller. Sylvie, c'est à toi d'engager. A plus tard, chers amis.

Elle joue bien ma Sylvie. L'autre petite peste a tenté de l'humilier pour se mettre en valeur. Moi aussi je déteste ce genre de pimbêches. Le cirque a commencé sur le court voisin. Véro est en grande forme et « gros lourd » commence à baisser les bras. Nous soufflons et rions. Ce couple vous dégoûterait du mariage. Nous sommes amoureux et ne fonctionnons pas comme eux. Véro revient.

Sylvie, me prêterais-tu ton partenaire, que je puisse faire quelques bonnes balles. Henri serait content de jouer plus calmement.

Je murmure à l'oreille de Sylvie

- Ne crains rien; pour une fois fais plaisir à ce malheureux. Prends pitié.

Et à haute voix

- Mais attention, mon amour, je te surveille.

- Vous n'avez rien à craindre, mon nounours est inoffensif. Je l'ai mis à plat ce matin, il a les jambes en coton et le drapeau en berne. Une bonne épouse se dévoue pour lui éviter les tentations. Sylvie devrait m'imiter. Mon ami, vous devrez la dessaler. Alors on commence.

Je ne suis qu'un amateur. Je ne force pas mon talent et ne cherche pas à briller aux yeux de cette dévergondée. Ses boulets de canon transpercent ma raquette.

- Dis, mon petit Paul, tu jouais mieux avec Sylvie. Allez, secoue-toi. On fait un petit match. Je compte les points…Si tu continues comme ça, je vais t'envoyer contre Henri et je donnerai une leçon à la revenante. Ah ! C'est mieux.

Il faut éviter l'affrontement à tout prix

Elle monte au filet, je contre, nous sommes tout proches :

- Ne voudrais-tu pas venir seul un soir, nous pourrions faire de beaux échanges. Je suis libre le lundi.

Elle ramasse sa balle et dévoile presque entièrement deux mignons petits seins. Elle m'adresse un clin d'œil complice. Cette bonne femme est vraiment une dragueuse née, sans honte.
Sylvie vient de chuter, cela m'évite de répondre.

- Ce n'est rien, ne t'inquiète pas, Henri va s'occuper de son bobo

Henri regagne le vestiaire, prévenant il soutient Sylvie. Elle avance à cloche-pied. Au passage elle me lance

- Ce n'est pas grave, je me suis un peu tordu la cheville. Continuez, je vais me reposer. Termine ta partie.

Entre deux engagements, j'aperçois Henri, il se penche pour voir ce que nous faisons avant de disparaître dans le vestiaire. Je devrais me rendre près de Sylvie, c'est peut-être plus grave qu'elle ne l'a dit.

- Véro, je vous remercie, mais Sylvie est peut-être mal en point, sinon elle serait revenue.

- Elle n'est pas en sucre, ne sois pas esclave de ses caprices. C'est du solide ta fiancée, elle fait dix kilos de plus que moi. Cela arrive quand on cesse de s'entretenir physiquement. Regarde-moi, c'est du muscle, pas un gramme de graisse, touche.

Elle me tutoie comme un vieux copain. Je ne tâte pas. Alors elle trottine à mon côté. Dans le vestiaire il n'y a personne. J'entends la voix de Sylvie, au fond dans la salle de massage.

- Je veux bien un massage, mais n'égare pas tes mains.

Elle ne gémit pas. Je prends une douche, me change. Véro m'a attendu, nous allons vers la salle du fond.

- Non, mais regardez-moi ça. Elle part en boitant avec un bobo à la cheville et la voilà à poil sur le ventre en train de se faire tripoter le dos par mon mari. Croqueuse d'hommes; le tien ne te suffit plus.

- Oh ! N'exagère pas, je lui ai massé la cheville. Un petit massage du dos va la remettre en forme. En tout bien et tout honneur. Nous sommes de vieux copains.

- Ce n'est pas une raison de tomber le soutien-gorge. Tu veux peut-être que je la retourne pour un massage des seins, histoire de les remettre en forme.

Effectivement, il y a de quoi s'étonner. Sylvie, couchée sur le ventre, en petite culotte de dentelle, présente un dos nu. Je ne vois pas son visage, mais je devine son embarras. Le cave se rebiffe; la présence de Sylvie l'a transformé.

- Tu ne voudrais pas que je lui masse les bretelles du soutien-gorge. Calme-toi.

- Dans cinq minutes tu aurais dû la débarrasser de sa culotte pour lui masser le bas du dos. Elle n'aurait pas protesté la dévergondée ! Et quoi encore ?

Je me tais, Véro interprète ma pensée, avec fureur.

- Depuis quand es-tu masseur ? C'est nouveau, tu perds la tête dès que tu vois cette allumeuse. Continue à la peloter. Essaie là, entre les jambes, elle roucoulera. Si c'est comme ça, tu vas voir vieux satyre, il n'y a pas de raison qu'on se gêne. Paul, ici.

Je me retourne. Véro toute nue grimpe sur la deuxième table de massage, s'allonge sur le dos, m'offre le spectacle d'une toison noire taillée avec soin, fendue d'un mince trait rose et m'apostrophe pendant que j'admire avec émotion deux jolis petits seins à peine marqués sur lesquels se dressent deux fraises minuscules :

- Allez, cocu, Viens te venger. Verse de l'huile et masse-moi. Fais attention à mon piercing, là au-dessus du clito. Sois doux. Vas-y.

- Non, Paul, pas ça !

Sylvie est debout contre moi, retient mon bras d'une main, agite son soutien-gorge de l'autre et en menace sa rivale. Henri est collé au mur, victime de la ruade qui l'a envoyé contre la porte d'entrée.

- Qu'est-ce que tu as dit vipère. Qui est le cocu ici, roulure. Henri, excuse-moi; tu me fais de la peine. Emmène-la ou je lui arrache les yeux.

Véro ramasse son linge blanc et déguerpit devant son nounours humilié et furieux. Sylvie me regarde, l'air contrarié, au bord de l'inquiétude :

- J'ai fait quelque chose de mal ?
- Je ne sais pas…

Cette fois l'inquiétude l'emporte. Ce « Je ne sais pas » est pire qu'un oui.

- C'est grave ? Tu avais envie d'elle ?
- Comme s'il s'agissait de ça ! Regarde-toi dans ce miroir. Tu te crois dans ta salle de bain ?

- Ah ! C'est ça ? Tu es fâché, je te demande pardon, je ne le ferai plus, je te le jure, mon amour.

Je hurle, fou de douleur :

- Tais-toi, Rose !

Je reviens à moi. Que fait Sylvie, seins nus, en culotte, le visage exsangue, atterrée, tremblante, en pleurs pour la première fois, que fait-elle près de cette porte ? Pourquoi ce regard inquiet ?

- Sylvie, ne pleure pas, je t'en supplie. Je t'aime.

- Je ne savais pas que c'était si grave. Tu as douté de moi. Et je t'ai fait si mal.

- Ce n'est rien, rien. Calme-toi, serre-moi fort. Sèche tes larmes. Ce n'est rien, ce n'est rien

J'essaie de m'en persuader. Chaque fois que je dis rien, ses bras m'étreignent plus fort. Elle renifle, s'essuie les yeux dans mon tee shirt. On vient. Elle rajuste le soutien-gorge, tourne en rond dans la pièce, cherche, s'affole, ne trouve pas: sa tenue a disparu. Vengeance de Véro ou prise de guerre d'Henri? Nous ne saurons jamais. J'en ris.

- Ce n'est pas drôle. Une tenue toute neuve. Aide-moi à marcher, j'avais oublié ma cheville, ça me fait mal.

- Veux-tu que je te masse la cheville ?

- Depuis quand es-tu masseur ? C'est nouveau. Tu perds la tête quand tu me vois. Il n'y a pas de raison qu'on se gêne. Paul, ici. Verse de l'huile et masse-moi.

Le fou-rire s'arrête tout net quand j'ordonne:

- Enlève soutien-gorge et culotte, je ne veux pas être gêné pour masser ta cheville.

Nous nous regardons puis nous rions. Le nuage est passé.
Je vérifie que nous sommes seuls, ferme la porte à clé. Couchée sur le ventre, nue, Sylvie rit nerveusement, ne peut plus s'arrêter. Son cœur va plus mal que sa cheville. J'attaque des mains et de la bouche, lui donne des frissons, n'épargne aucun point sensible. Une table de massage ne vaut pas un bon lit. Mais c'est plus original. Et nous sommes sur les chemins de l'oubli, malgré l'étroitesse de cette couche improvisée mais possible. Voilà une excellente façon d'éliminer les petits grains de sable qui s'étaient glissé dans les rouages.

- Sylvie, tu es là ? Je te rapporte ta tenue, je l'ai emportée par erreur.
- Pardon, mon amour.

Je me détache en douceur, ouvre la porte dans l'état que l'on devine. Véro ouvre des yeux pleins d'envie et murmure en me tendant le sac de Sylvie :

- Compliments. A bientôt.

La garce ne perd jamais le nord. La rumeur a parfois raison. Nous oublions l'incident dans une folle étreinte. Les craquements de la table nous font craindre le pire Nous serons mieux à la maison.