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Proposée le 19/11/2008 par Bilitis
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La petite place vibrait sous l'assaut d'un soleil caniculaire. Écrasés par une chaleur inhabituelle en cette fin de printemps, les villageois, tout occupés aux derniers préparatifs de la fête, ne savaient trop si c'était là une aubaine ou une malédiction. Échoppes et tables à rallonges, le plus souvent de simples planches couchées sur tréteaux, entouraient un vaste podium surélevé d'un bon demi-mètre : la scène qui allait accueillir les bagads', les danseuses et les danseurs dans leurs costumes traditionnels.
Peu accoutumés à une telle chaleur, les commerçants, les officiels, les bistrotiers, les techniciens qui s'affairaient de-ci de-là, ne ménageaient pourtant pas leurs efforts. Tous étaient en nage, s'épongeant le front, secouant un pan de chemise ou agitant une casquette ou un chapeau devant leur visage pour tenter de se rafraîchir tant soit peu. La bonne humeur régnait pourtant et les rires fusaient ; indifférents à la canicule, les enfants couraient et criaient ; tout le monde la voulait réussie, cette fête, vieille coutume ancestrale, répétée tous les ans, de génération en génération.
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J'avais rangé mon véhicule un peu en dehors du village, au bord de la route, devant cette pharmacie où j'étais entrée avec elle', il doit y avoir trois ou quatre ans déjà, à l'occasion de la même fête annuelle ; mais cette fois-là, il faisait maussade et pluvieux. Nous avions passé quelques jours dans son village, ce village cher à son cur, où elle était née, où elle avait vécu toute son enfance, avant que ses parents ne montent' à Paris.
Elle !... Elle pour qui je venais de parcourir quelque cinq cents kilomètres, elle que je n'avais plus vue depuis deux ans, elle qui avait transformé ma vie, elle que je n'arrivais pas à oublier, elle que j'aimais toujours, en dépit de tout, elle que j'avais dans la peau, elle pour qui je mouillais dès que la moindre de mes pensées se tournait vers elle, elle que je vénérais, elle pour qui continuais de souffrir.
J'avais tout essayé pourtant pour tenter de l'évacuer de mon esprit, de mettre un terme à cette passion ravageuse, incandescente, brûlante, destructrice. Je m'étais jetée dans les bras de Gilles, puis dans ceux de Georges, en vain ! J'avais tant espéré que Julie, qui pourtant me vouait un amour profond et sincère, arrivât à m'emporter dans le sillage de sa passion et finît par la' remplacer dans mon cur et mon corps. Chaque fois pourtant que l'orgasme s'annonçait, c'était son image à elle' qui grimaçait son plaisir sur l'écran cruel de mes divagations désespérées. Julie avait éclaté en sanglots le jour où, en pleine jouissance, j'avais crié son' nom. J'avais bien vite dû tout avouer à la pauvre Julie qui ne méritait pas ça.
À la suite de cet incident, je m'étais préparée à perdre ma Julie chérie, mais c'est avec une sauvagerie accrue qu'elle se mit à me faire l'amour dans les jours, puis les semaines, qui suivirent. À l'évidence, elle s'était donné pour objectif de la' supplanter. Je ne comprends pas comment elle n'y est pas arrivée. Ce n'est pas faute d'avoir essayé et je lui dois de mémorables instants de plaisir intense. Jamais pourtant, je n'ai connu entre ses bras ce tourbillon de bonheur, ce cataclysme sensoriel, cette hébétude affolée, bref, ce qu'on appelle « le grand frisson ».
Julie s'était habituée à mes brusques crises de larmes rageuses. Je m'en voulais de ne pas parvenir à m'arracher à elle', à la projeter loin de moi ; mais je m'en voulais plus encore d'être incapable de me mettre à aimer Julie tout de bon. Je la trahissais sans cesse en pensée, la trompais inexorablement au cours de chaque étreinte... J'ai fini par la fuir, dans un moment de honte, obéissant à un dépit rageur. Une grosse bêtise, sans nul doute !...
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Je m'étais placée tout contre une échoppe, à distance suffisante pour ne pas être reconnue si d'aventure son' regard venait à s'égarer sur moi, mais assez près pour avoir toutes les chances de la contempler dans son beau costume traditionnel. Je portais évidemment d'immenses lunettes de soleil qui me mangeaient le visage. Pleine d'appréhension, le ventre noué, j'attendais mon supplice.
Soudain, l'air se mit à vibrer et une sorte de silence relatif s'installa. J'apprécie particulièrement ce moment où, sans rien voir encore, on perçoit, à peine audibles, binious et fifres dans un lointain fragile. L'oreille se tend, les sens se mettent aux aguets. Une sorte d'exaltation m'envahit à mesure que s'approchaient la pulsation des percussions et la plainte aiguë des bombardes et des flûtes. Les pavés étonnés frémirent : le sol tremblait du martèlement des sabots de la troupe qui s'approchait. Brusquement, la musique se fit plus forte : l'orchestre venait de faire son apparition au coin de la rue débouchant sur la place. Toutes les activités s'étaient suspendues, les enfants même avaient interrompu leurs cris et leurs jeux. Une sorte de recueillement respectueux se fit, perceptible sur chaque visage. Je me laissai envahir, dominer par une émotion grandissante. J'avais oublié à quel point cette musique était prenante, pouvait m'envahir, s'insinuer dans mes fibres, me remuer au plus profond.
Le sol tremblait à présent, l'air s'était chargé des puissantes vibrations que produisaient les musiciens jouant avec une belle ferveur ces airs languides chers à leur cur. Ils montèrent sur le podium et s'installèrent sur le pourtour afin de laisser le centre libre pour les danseurs qui n'allaient plus tarder. Ils étaient une bonne trentaine, soufflant, battant, faisant courir leurs doigts agiles sur leurs instruments. Je sentais vibrer en moi ces sons étranges, à la fois grêles et puissants, continus et martelés, tellement à l'image de ce j'éprouvais : la plainte des binious me sembla traduire ma propre angoisse, lui donner sa réelle consistance ; le martèlement des percussions répondait si exactement aux battements de mon cur que j'en conçus une sorte d'affolement, ou plutôt d'exaltation apeurée. Mais je ne sus si je devais mon état aux effets de la musique ou à l'appréhension de ce qui allait survenir : j'allais enfin la' revoir ! Elle serait parmi d'autres danseuses, certes, quelque peu noyée dans un groupe uniforme, mais qu'importe ! Je me rendis compte que je me tordais les mains d'impatience, que je trépignais comme une gamine mal élevée. La revoir !... J'avais beau m'y être préparée depuis des semaines, n'avoir cessé d'y penser tout le long du trajet, je fus prise de panique à l'idée que le moment de ces fausses retrouvailles s'approchait.
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Oh ! la première fois que je l'avais vue !... Le film de notre première rencontre se projeta sur mon petit écran privé, dans ma tête, dans ma boîte à souvenirs. J'avais été invitée à une soirée chez des amis, il y avait pas mal de monde. Je déambulais de-ci de-là lorsque je la remarquai. De dos. Sa manière de se mouvoir avait éveillé tout d'abord une curiosité un peu paresseuse. Intriguée, je contournai le petit groupe qui l'avait prise pour cible et, aussitôt, je compris pourquoi : quel joyau, quelle merveille ! Dès le premier regard, je l'avais trouvée... je n'ai pas de mots, et en aurais-je, je ne saurais dans quel ordre les décliner !... J'avais immédiatement senti, au plus profond de mon être, qu'il y aurait un avant et un après elle'. Et de fait, ma vie bascula dès l'instant où mon regard se posa sur cette créature sublime. Il ne s'agit même pas de beauté ! La description de son corps sculptural ne constituerait qu'une approche bien superficielle. Oui, grande et blonde, avec des yeux d'un bleu irisé de taches plus claires, presque turquoises, changeant selon l'éclairage et son humeur ; un regard profond, intense, vibrant, affecté d'un léger strabisme qui s'accentuait lorsqu'elle était émue ou en proie à un plaisir intense, elle ne laissait personne indifférent. Son expression à la fois enfantine et mature, son petit sourire moqueur, mais surtout le charme incroyable qui émanait de sa personne, cette grâce omniprésente, cette fragilité si attendrissante, sa force vitale, tout cela m'avait instantanément pénétrée, envahie, bouleversée. C'est là, je crois, ce qu'on appelle un coup de foudre !...
Bien vite, elle s'était rendu compte que j'avais focalisé sur elle toute mon attention. La chose ne devait pas être difficile à constater : j'étais probablement déjà pantelante, la bouche ouverte, les sens en alerte, le ventre pétillant d'impatientes promesses. Il ne se passa pourtant rien ce soir-là.
Je ne m'étendrai pas sur les ruses dont j'usai afin de me retrouver au plus vite en sa présence. Nous étions toutes deux mariées, ce qui n'était évidemment pas de nature à simplifier les choses. Il m'avait semblé, pourtant, qu'elle avait daigné jeter sur moi un regard qui ne m'avait pas paru indifférent. Mais je mis cette impression sur le compte de l'envie que j'avais que cela fût vrai ! C'est donc toute nouée d'une insurmontable angoisse que je la revis. Assez rapidement une franche complicité s'installa. Nous ressentions les choses de la même manière, elle était tout simplement brillante, pleine d'esprit et d'un humeur ravageur. Nous décidâmes de nous revoir, au milieu de cercles d'amis d'abord puis, lors d'un voyage de son homme d'affaires de mari, en tête à tête au restaurant. C'est ce soir-là débuta notre tumultueuse liaison.
Le lendemain, euphorique, je m'étais exclamée, à l'instar d'une enfant choyée : « Elle s'appelle Nolwenn, elle est Bretonne, je l'aime. »
Je l'aimais comme jamais encore je n'avais aimé : à en perdre la tête, le souffle, le sens commun, la notion du temps, le boire et le manger... J'en devins vite totalement dépendante, elle était devenue ma drogue, ma raison d'être, mon bonheur, ma vie même ! Effrayée par l'intensité de ma passion, j'avais bien tenté de m'en délivrer en provoquant une salutaire rupture. Mais je n'y parvins pas, et après cette vaine tentative, ce fut bien pire : je l'avais dans la peau, j'avais tout le temps envie d'elle, qu'elle me regarde, qu'elle me désire, qu'elle me dévête avec sauvagerie comme elle aimait à le faire, qu'elle me baise, qu'elle me maltraite, qu'elle fasse de moi son objet sexuel... Pour la voir jouir, pour lui donner du bonheur, pour la gâter, pour lui procurer ce plaisir aigu que nous recherchions sans cesse, j'aurais fait n'importe quoi ! J'en étais bleue, gaga, maboule... Et je tremblais à l'idée que ce miracle prît fin...
C'est que les choses n'étaient guère simples et nous devions déployer des trésors d'ingéniosité pour pouvoir nous retrouver dans le plus grand secret, et non sans avoir pris mille précautions afin de ne pas alarmer nos maris. Le plus souvent, nous abritions nos amours coupables, à la sauvette, dans des lieux insolites tels des aires d'arrêt d'autoroute quand nous ne disposions que de peu de temps, ce qui était le plus fréquent. Mais cette angoisse, ce sentiment de braver les interdits, de piétiner la bienséance et de bafouer la loyauté conjugale, le danger aussi d'être découvertes, tout cela ajoutait un piment particulier à nos rencontres. Les amours clandestines ont un goût particulier que n'ont pas les amours ordinaires que leur légitimé ensommeille bien vite !
Nous nous appelions sans cesse au téléphone et nous susurrions, en pouffant, des propos coquins, avant de nous promettre des caresses inédites et de nous avouer nos désirs du moment. Combien de fois ne me suis-je pas masturbée comme une collégienne, le portable encastré sous le menton, la jupe relevée, les yeux révulsés, me tripotant un sein et me pénétrant sans vergogne, tout occupée à savourer les propos de plus en plus graveleux que Nolwenn m'adressait ? Nous étions devenues deux vraies cochonnes !
Nos étreintes étaient bien vite passées du simple assouvissement d'un désir impérieux, inspiré par une attirance profonde, à une recherche frénétique de dépassement de soi, une sorte de quête d'absolu. À la tendresse respectueuse des premiers ébats, si émouvants, si attentionnés, avait fait place une sorte de boulimie sexuelle, une sauvagerie tout animale, une envie de se dévorer, de s'absorber, de fusionner.
Mon corps avait, hélas ! le temps de se remettre de ces étreintes passionnées qui laissaient ma chair délicieusement meurtrie, mon âme en désordre et mes sens en folie. Nous ne nous voyions que bien trop rarement à notre goût, ce qui ne manquait pas, précisément, de nous transformer en furies lorsque s'offrait enfin l'une ou l'autre occasion de nous jeter l'une sur l'autre.
Et puis survint l'inévitable : le mari de Nolwenn finit par s'inquiéter des absences de sa femme. Assez méfiant de nature, il se posa mille questions quant à la nervosité qu'affichait sa chère et tendre lorsqu'elle se préparait à ce rendez-vous chez son médecin-conseil ou à sa réunion tupperware ' avec les femmes du quartier, ou à une visite chez son amie Clara qu'elle n'appréciait pourtant pas au point de la fréquenter aussi souvent. C'est un coup de fil vérificateur chez Clara, précisément, qui lui fit découvrir la tromperie. Dûment prévenue, Clara avait pourtant joué son rôle, mais elle manqua sans soute de désinvolture : le mari jaloux ne fut pas dupe de l'explication de Clara qui prétendit que Nolwenn venait de l'appeler sous prétexte d'un rendez-vous oublié. Manquant de preuve formelle, il ne put toutefois qu'intimider son épouse en la menaçant de demander le divorce.
Le coup fut rude et, paniquée, la mort dans l'âme, Nolwenn m'annonça, en larmes, que nous devrions espacer nos rencontres clandestines, voire y renoncer. Je devais comprendre : son ménage, même bancal, représentait l'indispensable sécurité. Elle ne pouvait s'exposer davantage, mettre plus longtemps en péril ses moyens d'existence ni, surtout, la sécurité et le bien-être de ses deux enfants encore en bas âge. Bien consciente de la nature du risque et de l'enjeu, je me fis violence et, déchirée, malade de douleur, je me résignai à m'éloigner de celle que j'adorais. C'est d'ailleurs précisément en ces instants de séparation que je réalisai à quel point je l'aimais, à quel degré j'en étais dépendante, à tous égards. Mais elle n'avait pas la chance d'avoir un mari aussi régulièrement absent que le mien et, de surcroît, aussi confiant.
Les premiers temps, je pleurais sans cesse, sursautant au moindre appel téléphonique, me précipitant vers la porte au moindre coup de sonnette dans l'espoir, toujours déçu, de sa visite. Les réunions où nous étions en présence étaient devenues de véritables séances de torture et, très vite, je préférai y renoncer. Les appels téléphoniques, éplorés, passionnés, des premières semaines, trop douloureux, trop frustrants, finirent par s'espacer pour disparaître également. Je mouillais pourtant comme une folle dès que j'entendais sa voix, si légère, si envoûtante, me lancer un trop désinvolte et pas du tout convaincant : « Coucou, ma chérie, c'est moi !... tout va bien ! » Je crois qu'elle devait se rendre compte que je me touchais pendant nos appels, parce qu'elle s'interrompait souvent, me questionnant : « ça va ?... tu te sens bien ? » Je répondais « Oui, oui, je suis juste un peu essoufflée, ma chérie. » pendant que mon corps hurlait son désir, sa frustration de ne plus l'avoir près de moi, sur moi, en moi.
Et puis, nécessité fit loi et le temps son uvre : je me résignai, non sans une immense amertume à renoncer à Nolwenn, à ne plus la voir. Deux longues années passèrent, deux années au cours desquelles je me suis offerte quelques amants et... Julie. Et puis me revinrent en mémoire les images de la fameuse fête annuelle. Jusque-là, je m'étais contentée de revoir Nowenn, en pensée, sautiller sa danse avec cette grâce qui la caractérise, cette fougue qui la rend si belle, si attachante. Brusquement, je me suis décidée à replonger une ultime fois dans son univers, me nourrir d'un petit morceau de sa présence, me remplir de quelques images dérisoires, douloureuses sans doute, mais dont j'avais, je le sentais bien, un besoin viscéral, impérieux. Allons, c'était dit : j'irais revoir mon cher amour, ma Nolwenn qui palpitait encore en moi !
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Après une courte pause, les musiciens entamèrent un air de danse, le moment approchait ! Je savais que le groupe de danseurs et de danseuses allait faire son entrée, une entrée sautillante, souple et tonique. Mon cur se mit à battre la chamade lorsque, sous les applaudissements d'un public devenu fort nombreux, les premiers danseurs arrivèrent, mi-courant, mi-sautant. Qu'ils étaient fringants dans leurs costumes traditionnels, avec leurs pantalons bouffants et leurs gilets étroits, leurs chapeaux de paille ronds, rehaussés de rubans noirs leur tombant dans la nuque.
Je fus prise d'une angoisse soudaine qui me noua le ventre et me glaça le sang dans les veines, malgré la chaleur étouffante : et si elle n'était pas là ?... Rien ne me garantissait qu'elle serait présente, comme les années précédentes. Il lui était arrivé de ne pas participer à la fête annuelle, je m'en souvins sur le coup. Avec quelle naïveté avais-je pris la route, sans penser que... peut-être...
Mais les filles faisaient leur entrée à présent : elles accouraient, bondissantes, fraîches et souriantes, si jolies dans leurs beaux atours. Mon cur cognait à tout rompre dans ma poitrine, j'étais éperdue, la tête me tournait. Je crus défaillir lorsque, mon angoisse ayant atteint son paroxysme parce que je voyais les dernières danseuses faire leur apparition sans avoir repéré Nolwenn, je la vis soudain, tout en sourire, tout en beauté, rayonnante, belle à en mourir, exaltée, l'il vif, le teint frais, débordante de vitalité et d'énergie. Le soleil m'aveugla un moment, sa brûlure me faisant cligner des yeux, et je la vis passer à quelques pas de moi qui manquai défaillir de soulagement et d'un bonheur féroce. En un clin d'il, le groupe fut au centre du podium et entamait une danse endiablée.
Je la mangeais des yeux, accompagnant le moindre de ses mouvements si gracieux, si altiers ! Quelle noblesse dans ces danses sautillantes, où les corps se tiennent si droits, en une attitude presque rigide, mais que compensent si bien la liberté des jambes, la souplesse et la fluidité des bonds répétés sur un rythme soutenu. Et comme la musique, lancinante, obsessionnelle, soutient bien ces saltarelles' effrénées. Que j'aime cette musique, que j'aime ces musiciens... que j'aime ces danseuses et ces danseurs, que je t'aime Nolwenn ! ... Oh ! comme je t'aime !...
Ma vue se brouilla et je me rendis compte que mes yeux brûlaient : je pleurais à chaudes larmes, comme une enfant en proie à un gros chagrin. N'était-ce pas le cas d'ailleurs ? En ces instants éperdus, j'étais en effet une enfant à qui l'on a arraché son jouet chéri et qui en a le cur déchiré, une enfant, oh ! oui, une enfant perdue, abandonnée !... Je ne pus retenir plus longtemps les sanglots qui m'étreignaient depuis un bon moment et me sentis toute secouée par un chagrin incoercible. Je me détournai rapidement et m'éloignai, pleurant toutes les larmes de mon corps.
Me revint alors en mémoire, avec une violente précision, le film d'une de nos rencontres, peut-être celle qui m'a le plus profondément marquée.
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C'était une des rares fois où, disposant d'un temps raisonnable, nous avions pu louer une petite chambre dans un hôtel. À cette époque, juste après les premiers mois où j'avais vécu notre liaison dans l'affolement le plus complet, dans la plus grande dépendance sensuelle et sentimentale, la fougue était quelque peu retombée, un peu à l'instar de cette petite déprime qui survient souvent après un fort orgasme. Je m'étais comme ressaisie, comme réveillée d'un rêve trop beau, trop parfait, utopique, voire dangereux. Je m'étais persuadée que je lui en voulais : je la trouvais trop envahissante, trop omniprésente dans ma vie, aussi avais-je décidé, sur un coup de tête, qu'il était temps de mettre fin à une relation où je n'étais après tout qu'une esclave soumise. J'avais réfléchi aux conséquences désastreuses que pouvait engendrer notre liaison, tant pour sa situation que pour la mienne. J'avais évoqué les dangers auxquels nous nous exposions. Un sursaut d'orgueil faisait probablement partie aussi du cocktail que je m'apprêtais à lui servir. Je l'avais prévenue par téléphone, l'explication avait été orageuse ! C'était elle qui avait fixé lieu et date de notre rencontre.
Arrivée la première, je m'étais composé un personnage résolu, ferme et décidé. Pour qui se prenait-elle, après tout ? Je ne voulais plus n'être qu'un objet entre ses mains, une marionnette à sa discrétion ! Assise dans le fauteuil qui jouxtait le lit, je m'étais choisi un maintien volontaire, jambes croisées, coude sur le genou, menton dans la main, froide et distante, en une attitude résolument fermée.
Lorsqu'elle entra, mon cur se mit à battre la chamade. Mon bras se déplia et je décroisai instinctivement les jambes. Je m'en voulus aussitôt pour ma coupable faiblesse : je perdais donc si facilement contenance ! Je serrai les dents et me préparai à l'assaut.
Elle eut tout de suite ce petit sourire ironique qui, hier encore, m'aurait ravi et qui, sur le moment me fit enrager. Elle se dandina légèrement de droite à gauche, s'appuyant sur une jambe, puis sur l'autre, m'observant sans vergogne, me toisant, me jugeant.
Je ne pus m'empêcher de constater une nouvelle foi à quel point elle était belle, attirante, désirable, sexy. Le petit diable qui niche en mon cerveau (et dans ma culotte !) s'empressa de programmer le film de nos ébats récents où je me laissais peloter par elle, où je me pâmais sous ses caresses, ou je la voyais frémir d'un plaisir ravageur, où, secouée de spasmes, je m'apprêtais à lui offrir le spectacle de ma jouissance.
Comme mue par un ressort, je me levai d'un petit bond maladroit. Je me sentais ridicule. Il fallait que je me ressaisisse, que je retrouve dignité et détermination. Mais le pire s'annonçait : voilà que je réalisai que mon entrejambe frémissait, que pointaient les petites démangeaisons du désir naissant, que, dans mon ventre, une corde venait de se tendre.
écoute, Nolwenn, ce n'est plus possible... nous ne pouvons pas... Comme ma voix étranglée sonnait faux !
Le doute n'était pus permis : je mouillais bel et bien ! J'en conçus un sentiment d'humiliation, de honte pure, et je me mis soudain à détester cette adorable femme en raison de l'insupportable ascendant qu'elle avait sur moi. La détester ? Ouais...
Tu sais bien que je... que... que... euh...
Mes jambes se mirent à trembler lorsque, ne me quittant pas des yeux, elle fit un pas vers moi. Elle semblait si sûre de son triomphe, tout comme moi de ma défaite... Elle fit un pas encore, elle était toute proche à présent et je pouvais sentir son souffle calme et régulier, son odeur délicate qui me mettait si facilement en émoi, et... et ce regard qui descendait droit dans ma culotte, qui me pénétrait aussi sûrement que sa langue quand elle envahissait ma bouche et poursuivait la mienne avec cette force triomphante qui me ravissait. Je savais que je respirais trop fort, trop vite, que mon regard sautait d'une de ses pupilles à l'autre, que je mouillais comme une folle, que je frissonnais, que... que...
Je tressaillis lorsque sa main vint se plaquer, sans ménagement, sur ma vulve et je ne pus réprimer un petit cri de surprise lorsque je sentis ses doigts se refermer sur mon pubis, enfermant mon sexe. Je me maudis d'avoir laissé échapper une réaction qui ne faisait qu'accuser davantage encore ma faiblesse, ma dépendance. Le regard triomphant qu'elle coula en moi à cet instant me fit frissonner de la tête aux pieds. C'était l'instant de vérité : ou bien je la repoussais, ou bien... ou bien... oooh ! mon Dieu. La repousser ? j'en aurais été bien incapable ! Par contre, m'abandonner, céder à cette créature merveilleuse, que... que je désirais comme une folle... de qui j'étais l'esclave... oh ça, ça ne me causait aucun problème... Mais non ! il ne fallait surtout pas que je retombe dans les mêmes travers, que je cède à nouveau, que je redevienne son jouet, sa chose. Allons, ma vieille, ressaisis-toi, que Diable, un peu de dignité, d'amour propre !...
Nolwenn ! je...
Je m'aperçus que son strabisme s'accentuait, comme toujours lorsqu'elle était excitée... Ce spectacle m'avait toujours bouleversée... Ces yeux ! mon Dieu !... Cette odeur... cette autorité, ces doigts qui me... oh ! elle... elle m'écrase, elle me domine... je suis...
Je me rendis compte que mon bassin ondulait doucement, que, à mon corps défendant si j'ose dire pour évoquer de telles circonstances ! tout mon être était tendu vers cette main qui venait de prendre possession de mon sexe, de mon être entier, s'étant placée au centre même de sa conquête, s'étant emparée de la place forte, du saint des saints, se l'étant une fois de plus approprié, l'ayant investi en maîtresse incontestée. Je sentis ma bouche s'ouvrir, ma gorge s'assécher, mon souffle s'accélérer, mes joues étaient brûlantes.
Le son de sa voix me galvanisa aussitôt :
Tu aimes ça, hein ?...
Pour toute réponse, je grimaçai ; ce devait être, je le sentais bien, une de ces contorsions qui signifiait à quel point je n'étais plus qu'une bête docile, domptée, soumise.
Allez, dis-le, que tu aimes ça !
Je me mis à souffler comme une locomotive.
Hh... hh...
Dis à ta chérie que tu aimes le sexe ! que tu aimes qu'elle te tripote comme elle le fait en ce moment.
Oui, oh oui, j'aime ça !... C'est... c'est trop bon.
Dis-lui que tu es son esclave !
Je... je suis ton esclave... je... je t'aime !...
Son sourire se fit triomphant, dans son regard quelque chose se radoucit, mais sa poigne sur mon sexe, au contraire, se raffermit et son strabisme était toujours aussi marqué.
Dis-moi que tu aimes ça, ma cochonne !
L'insulte me fouetta les sangs et je sentis un spasme se former, une nouvelle bouffée de chaleur m'envahir.
Je... oh ! tu m'excites !...
Et tu aimes ça, que je t'excite, n'est-ce pas ? Répète-le !
Tu m'excites !... tu m'excites !... je... j'ai envie de toi... tu me... oooh
Un de ses doigts s'était insinué dans ma culotte et se promenait à l'entrée de mon puits brûlant, déjà tout dégoulinant.
Oh mais, c'est qu'elle bien excitée en effet, ma petite vicieuse !
Éperdue, je me laissai aller : je renversais la tête en arrière, lui offrant ma gorge, mes mains s'accrochèrent au bord du grand lit dont je me servis pour prendre appui, ou plutôt pour ne pas tomber tant je sentais mes jambes mollir.
Je m'ouvrais de plus en plus et, cédant à une folle envie, je me remuai de manière à me positionner idéalement pour absorber ses doigts en moi, m'empaler en quelque sorte sur les trois doigts qu'elle avait réunis devant mon vagin qui suintait de plus belle. Je me mis à me branler sur sa main, sans vergogne, sans plus aucune retenue, excitée au plus haut point...
Oui, c'est ça, branle-toi ! Excite-toi sur mes doigts. Tu vois que tu aimes ça ! Tu es vraiment une sacrée cochonne, ma fille !... Tu as de la chance que j'aime ça aussi !
Fustigée, j'accélérai le rythme, cherchant à m'empaler le plus profondément possible, rageusement, sur ces doigts qui ne me pénétraient pas suffisamment, qui me laissaient pantelante et tellement en désir !...
Mmmmmh ! Ouh, elle s'excite !... Mais tu es une vraie furie !...
Je suis à toi !... arrivai-je à articuler d'une petite voix qui commençait à filer dans l'aigu.
C'était ce qu'elle voulait. Elle acheva de savourer son triomphe en s'emparant de mes fesses pour l'attirer à elle. Elle me roula alors une pelle somptueuse comme elle savait si bien en prodiguer, avant de me jeter sur le lit qui émit un gémissement comique.
Elle eut vite fait d'arracher tous mes vêtements. Elle se mit à pétrir mes seins avec fougue, les malmenant, les écrasant l'un sur l'autre, étirant les bouts, les secouant, les giflant...
Et ça, tu aimes aussi, hein ?...
Oh ouiiiiiiiii... tu le sais bien... continue !
J'étais redevenue sa chose, son objet, sa propriété, son esclave, sa cochonne à elle ! Je fus prise d'une panique rétrospective à l'idée que mes stupides velléités auraient bien pu me conduire au désastre. L'idée de la perdre me semblait à présent insupportable. Je l'avais échappé belle !
o o O o o
M'étant ressaisie, je me mouchai le nez puis m'essuyai les yeux avant de chausser à nouveau mes énormes lunettes solaires et de retourner me mêler aux villageois si heureux, si enthousiastes. Je me remplis des images merveilleuses de ces corps bondissants au son des binious et, bien entendu, je me sentis défaillir à la vue du bonheur et de la joie que vivait si intensément Nolwenn. Elle m'apparut comme dans une bulle, éloignée de tout, débranchée du réel !...
J'en avais assez vu, assez enduré ; j'avais fait le plein d'émotions. Je décidai de m'en retourner, le cur gros, l'âme en détresse, mais toute remplie d'images fraîches de celle qui palpitait encore si fort en moi.
Avant de reprendre la route, je décidai de m'offrir un rafraîchissement, ce qui, vu la canicule, n'était guère un luxe. J'aperçus le groupe des danseuses et des danseurs quitter le podium. Les musiciens en firent bientôt autant pour laisser la place à un autre bagad'. Mais je n'écoutai plus avec la même attention, la musique ne m'était plus, en ces instants douloureux, qu'un cruel ressac. Comme pour faire écho à mon état d'âme, le ciel, soudain, s'assombrit. Pas de doute : nous allions avoir droit à un bel orage. Quelques minutes plus tard en effet, les premières gouttes s'écrasaient sur le pavé.
Il était grand temps de rejoindre ma voiture sous peine de devoir attendre une accalmie. Je me lançai donc sur les pavés déjà glissants et trottai en direction de mon véhicule. La distance n'était pas bien grande et je fus vite rendue. J'allais glisser la clé dans la serrure lorsque j'aperçus, sous l'essuie-glace, visiblement glissée à la hâte, une feuille de papier pliée. Il ne s'agissait pas d'une quelconque publicité mais d'un billet manuscrit. Le cur battant, je dégageai le feuillet pour constater que, totalement trempé, il était illisible : de longues traînées bleuâtres se mélangeaient à la surface ramollie de la feuille qui n'allait pas tarder à s'effriter. Qui avait bien pu me laisser un mot ?... Le pharmacien peut-être, ou un quelconque riverain qui avait dû considérer que mon véhicule était rangé à un emplacement gênant... Quoi qu'il ait pu en être, la chose demeurerait sans conséquence puisque j'allais quitter pour toujours ce lieu qui resterait à jamais présent dans mon cur.
J'ôtai mes lunettes de soleil désormais bien inutiles et, après avoir poussé un profond soupir, démarrai puis engageai ma voiture sur la départementale.
o o O o o
Si la narratrice avait pu se douter !...
Si cette maudite pluie n'avait pas noyé les plus beaux mots d'amour qu'une femme puisse adresser à une autre, en un appel vibrant, en une prière plus touchante qu'un flot de vaines promesses...
Car voici ce que Nolwenn avait écrit ce jour-là, tremblante d'émotion, les yeux brûlants de larmes.
Ma chérie,
Tu aurais pu venir déguisée en sorcière, cachée dans un scaphandre ou dans une cabine téléphonique, je t'aurais reconnue ! J'ai cru que mon cur allait exploser quand je t'ai aperçue. Si tu étais là, c'est que tu m'aimes toujours !... Et moi qui m'étais persuadée que tu étais parvenue à m'oublier !... Si tu savais le nombre de fois que j'ai voulu t'appeler, te rendre visite, au milieu de la nuit, en plein jour, à ton travail, chez toi... n'importe où, n'importe quand...
Mais tu es là, mon amour, tu es là ! Quel bonheur !... je n'arrive pas à y croire ! Je ne sais pas ce qui va survenir maintenant, ce que nous allons décider, mais retrouve-moi... tu sais, ce motel à la sortie de Rennes où nous avons passé une nuit si cocasse, avec les voisins qui ne dessoulaient pas ?...
Retrouve-moi là ! Prends une chambre et attends moi, j'arrive !
Je t'aime.
Une larme de bonheur était tombée sur la feuille, brouillant un mot. Signe prémonitoire du sort réservé à la brûlante missive !
La fin de l'histoire tient en quelques mots : par une sorte de cruauté d'un destin qu'on prétend aveugle, la narratrice avait décidé de s'arrêter à ce même motel, précisément en raison du souvenir qui lui était revenu, chemin faisant, de cette mémorable nuit si agitée. Hélas ! l'hôtel affichait complet ! Quelques minutes après qu'elle se fût, à regret, remise en route, un client appela pour décommander la chambre qu'une heure plus tard Nolwenn vint occuper.
Si elle avait pu se douter !...